Joan deth Ors

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D’on venguem ? De luenh, ça ditz Lapalisse ; deth ors, ça disen eth monde deths Pirenèus.

Anonyme, Ours dansant avec une jeune fille, gravure (xylographie), fin XVe siècle.

Que’s parla donc d’un ors sense vergonha que, un dia de printemps deths prumèrs tempss deth món, n’escotèc cap qu’era clamor deth sièu vente e qu’anèc raubar ua hemna enà hè’u un macipon.

Presoèra dera bèstia, qu’aperèc ath sièu hilh Joan e que l’aimava autanplan per tant que hussa pelut e espatlassut coma eth sièu sanpair. Eth, brave hilh, que’u disiá tot diá : « Mamà, que’t voi hèr tornar en vilatge deths òmes ! » Eth maitin quan hec sèt ans, fidèu ara sièva promessa, que desquilhèc enà sa pair, que desliurèc enà sa mair e se n’anèc a granas camadas enà hèr eth torn deth món.

Henry Carnoy, "Jean de l'Ours face au diable", dans : Les légendes de France, 1885 (détail, Paris, Bnf).

Quan avián eth temps de hialar eras istuèras, eths vielhis, eths uelhs ludentis, que condavan eth sièu viatge, qu’apielavan eths detalhs, que hasián mèu de totas causas. Que serà per aute còp, bilhèu – anem, aué, tot dret ara fin, ath moment on Joan deth Ors se penja eishús un potz ner coma era arma deth diable. Eth, era pòur, la coneish cap e ja i devara, sense tremolar, e que i tròba presoèra – en un castèth, tè ! Qu’èm en un conde – ua princessa qu’a eths uelhs coma era mèu.

Que l’aima e era tanben, que l’aima. Qué huran eths condes sense amor, que hura eth amor sense eths condes ? « Ja’n sortiram, d’aqueth potz, ça’u promet en ríser aras estelas, e puèish, que viveram totis dus. »

Mès eth sol mejan de realisar aqueth sòmi qu’èra d’acavar ua agla giganta que, ath cap de trenta còps d’alas, reclamava de qué minjar.

Peras tenèbras dera gran volada, ath cap d’un moment, era agla que feblish. Sense esitar bric e nà sauvar era sièva mia, Joan deth Ors que’s talha un tròç de car ena cueisha e qu’ac balha nara bèstia.

Henry Carnoy, "La prince captive parut sur le seuil", dans : Les légendes de France, 1885 (détail, Paris, Bnf).

Atau qu’arribèc eth gran diá, eth rejaume dera princessa e deth sièu sanpair eth rei, tant urós de tornar véser era sièva hilha que hec de Joan eth sièu sucessor.

Aquò dit, eths vielhis ça disián tot doçament, coma se parlavan aras brasas que’s morishián : « E qu’averen talament de macipons que poblèren totis eths Pirenèus… »

Aquí eths mots dera istuèra. Qué valen ath devant era sciéncia ? Arren, ça’m pensi, mès de Gaztelugatxe entrò Cottliure e de Jurançon entrò Barbastro, ja’s sap era antica vertat : en eths Pirenèus, dempuish aqueth temps, qu’avem enas veas eth sang de ua princessa.

E era d’un ors, mos ac cau cap james eishoblidar.

Bonus
L’ours, un animal pas comme les autres
Illustration pour : Nicolas-Edme Rétif de la Bretonne, « Les hommes-ours », dans : La découverte australe par un homme volant, ou Le dédale français, 1781 (détail, Paris, BNF)

Sa proximité avec l’homme lui donne une place charnière entre le monde naturel et culturel. Il est la bête qui enlève une jeune bergère et s’unit à elle dans la légende de Jean de l’Ours. Symbole de puissance, de courage et d’intelligence, il est le « roi des animaux » jusqu’au milieu du Moyen Age, dans toute l’Europe, notamment dans les régions montagneuses et forestières. Cette vision est combattue par l’Eglise qui redoute cet animal trop proche de l’être humain tant par son comportement – omnivore, capable de se dresser et de se déplacer sur ses pattes arrière, de taille comparable à un humain adulte – que par les niches écologiques qu’il occupe (forêts et massifs de faible à moyenne altitude). Afin d’écraser toute admiration voire vénération par trop païenne, elle parvient à le supplanter avec un animal beaucoup plus lointain sur tous les plans, le lion africain.

Boucle de ceinture ornée de deux têtes d'ours, dorée au mercure, 11e siècle environ. Pièce archéologique trouvée en Couserans, collection particulière.

Dans la société rurale pyrénéenne, le statut particulier de l’ours traverse pourtant les siècles et jusqu’aux années 1950 et sa quasi-disparition, il porte des noms qui souligne sa proximité avec l’être humain : lou courailhat (le vagabond) ou encore le moussu (le monsieur).

William Blake, Nabuchodonosor, 1795, gravure sur cuivre à la plume et à l'encre et à l'aquarelle, Londres, Tate Gallery (détail)

La légende de Jean de l’Ours représente le monde sauvage apprivoisé grâce à l’entraide familiale et sociale. Quand les traditions chrétiennes et païennes se mêlent, la fête de la sortie de l’ours en Catalogne célèbre par sa mort à la Chandeleur la fin de l’hiver noir, la renaissance de la terre et de la fertilité des femmes. L’ours est aussi réputé pour faire disparaître la peur chez les enfants que l’on assoit sur son dos. Aujourd’hui compagnon de leurs nuits sereines, l’ours en peluche a repris le flambeau !

 

« Jean de l’Ours » est peut-être l’histoire la plus connue de la mythologie pyrénéenne ; on la retrouve sous diverses formes dans tout le massif, de la Catalogne avec Joan de l’Ós jusqu’au Pays Basque avec Juan Artz ou Xan de l’Ours – ce dernier pouvant parfois être assimilé de surcroît à Baxajaun, le seigneur sauvage de la forêt.

Gabrielle Maud Vassal, Char décoré d'un ours, 1908 (Paris, BnF, détail)

Encore de nos jours dans le Vallespir (Pyrénées Orientales), l’ours est le héros du carnaval, dénommé d’ailleurs Festa de l’Os, « fête de l’ours ». La date de la Chandeleur à laquelle elle se déroule est vraisemblablement une récupération par l’Eglise de célébrations païennes beaucoup plus anciennes. La période marque la fin du solstice d’hiver et donc le début du printemps ; selon la croyance, l’ours sort de son hibernation à ce moment-là, et l’évènement est crucial : s’il retourne dans sa grotte, l’hiver se prolonge de 40 jours et les cultures en pâtiront. L’animal apparaît donc comme le responsable du renouveau, de la fertilité et de la fécondité.

 

La fête met en scène des hommes grimés, la face noircie, les épaules chargées de fourrures ; ils poursuivent femmes et jeunes filles dans les rues des villages pour leur frotter le visage de cendre et leur souhaiter d’être « fertiles ». Le (ou les) « ours » est ensuite capturé par les « chasseurs », qui l’assoient sur un trône et le tondent. En lui prenant sa fourrure, ils en font symboliquement un homme. L’acte représente la domination de l’être humain sur l’animal, certes, mais aussi de l’homme sur sa part de sauvage.

Les montreurs d’ours de la vallée du Garbet

Autre témoin de la proximité du Pyrénéen avec l’animal, un métier spécifique apparaît au XIXe siècle dans deux vallées du Couserans en Ariège : l’orsailher. Les villageois des vallées du Garbet et de l’Alet capturent des oursons en montagne pour les dresser à faire des tours. Contraints par une surpopulation susceptible d’engendrer famine et misère (près de 10 000 habitants en 1846, à comparer avec les 1 500 d’aujourd’hui), les terres agricoles étant limitées en montagne, les hommes deviennent montreurs d’ours pour gagner leur vie et partent sur les routes. Entre les années 1830-1840 et 1910, date à laquelle l’activité disparaît, on dénombre plus de 800 montreurs d’ours dans les villages et les hameaux d’Ercé et d’Ustou.

Montreurs d'ours d'Ercé – carte postale du début du XXe siècle, coll. Commune d'Ercé.

Ils parcourent d’abord la France, puis l’Angleterre, et très vite, une filière voit le jour pour s’embarquer pour l’Amérique du Nord : la grande majorité des orsailhers va vivre sur les routes des Etats-Unis et du Canada, dans une véritable intimité avec leur bête, partageant souvent leur couche et leur repas. Ils envoient à leur famille restée en Ariège les gains glanés dans les rues, à faire danser l’animal au son du clairon ou à asseoir des enfants sur son dos pour « les rendre courageux ». Quelques montreurs d’ours iront encore plus loin de leurs Pyrénées natales, en Amérique centrale et du Sud, en Indonésie, en Australie, en Nouvelle-Zélande…

Le montreur d’ours d’Ercé Jean Souquet Malet et son ours en Nouvelle-Zélande, début du XXe siècle.
“Piejol Bros with their wrestling bears”: affiche pour un spectacle dans un cirque américain de Joseph Pujol, montreur d’ours d’Ercé, début du XXe siècle.

Lorsque les animaux sauvages sont interdits dans les rues aux Etats-Unis au tournant du XXe siècle, certains s’engagent avec leur bête dans des cirques comme Barnum ou le Wild West Show de Buffalo Bill, tandis que d’autres trouvent une reconversion dans les restaurants ou salons de coiffure huppés de grandes villes comme New York, leur origine française leur assurant d’office des compétences dans le milieu de la gastronomie et de la mode ! Cette filière d’expatriation économique demeure très active jusque dans les années 1960, à tel point qu’un petit secteur de Central Park, lieu de retrouvailles entre exilés, porte le nom de « roc d’Ercé » et que quelques restaurants de Broadway sont encore de nos jours aux mains de descendants d’orsailhers de la vallée du Garbet.

"Le roc d'Ercé" à Central Park, New York, 1978 (détail, Paris, BnF)
Cohabiter ?

Dans les Pyrénées, la concurrence pour l’espace est à l’origine du déclin des ours, classés nuisibles et chassés comme un gibier de valeur jusque dans les années 1960. L’exploitation forestière et le développement du tourisme sont aussi des facteurs qui contribuent à réduire l’habitat de cette espèce protégée depuis les années 1980.

« Deux ours près d’un lac pyrénéen », aquarelle, Toulouse, musée Paul-Dupuy.

La domestication du milieu pour les besoins du pastoralisme et du tourisme répond à une vision contemporaine de l’aménagement de l’espace montagnard. Ce conflit d’usage historique entre l’homme et le fauve peut en partie expliquer les controverses autour de la réintroduction de l’ours depuis le milieu des années 1990, dans un territoire qui conserve une activité pastorale structurante. Une autre approche considère que les espaces aujourd’hui reconquis par la forêt ont été libérés par l’agriculture. Les transformations de la société et l’évolution des fonctions économiques mais aussi symbolique de l’espace rural réinterrogent la question du partage de la ressource entre l’homme et l’animal sauvage.