La Font-Sainte

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Entrée de Saint-Lizier d’Ustou, dessin de Blanchard, gravure de Hotelia et Regnier, « Entre la France et l’Espagne, vallée des Pyrénées, Vic d’Essos, Tabascan, Ustou », L’Illustration, journal universel, 5 sept. 1851

Dans la vallée d’Ustou en Haut-Couserans (Ariège), entre les villages de Seix et du Trein, se dresse la chapelle de Saint-Lizier d’Ustou, au bord de la route actuelle et de l’ancien chemin. C’est un édifice très simple, où seule figure une inscription sur un bloc de marbre, avec la date de 1770 : « A la gloire de Dieu et en l’honneur de saint Lizier ».

Evêque, Petit armorial équestre de la Toison d'or MS Clairambault 1312, Fol. 240, v. 1460-70 (crédit Gallica)

Avant ce lieu de culte existait, à quelques mètres de là, une source abondante. On l’appelle Font-Sainte car selon la légende, Lizier (qui n’était pas encore saint), originaire de la péninsule ibérique, qui vécut au VIe siècle et mourut en l’an 548, arriva d’Espagne par le port d‘Ustou, épuisé par la soif et la chaleur de l’été. Il fit une pause en ce lieu, au bord du chemin, et planta son bâton de pèlerin en terre. Immédiatement, une source d’eau pure et abondante jaillit du sol, ce qui permit à l’habile prélat d’étancher sa soif et d’atteindre son évêché. La nouvelle de l’apparition de la source se répandit rapidement par toute la contrée.

Bonus
Chapelle de la Font-Sainte d'Ustou, remaniée dans les années 1980 suite à un élargissement de la chaussée, crédits : Pauline Chaboussou

Avant 1770, la source miraculeuse était déjà vénérée par la population du Haut-Couserans, et aussi par celle du Pallars, de l’autre côté des Pyrénées. En 1665, l’Evêque du Couserans, Bernard IV de Marmiesse, édicta des mesures pour ordonner les processions et cérémonies qui avaient lieu à la Font-Sainte. En Catalogne, dans le Haut-Pallars, il existe des preuves de la popularité de la Font-Sainte d’Ustou à peu près à la même époque. Le frère et voyageur Narcís Camós publie en 1657 un livre sur les sanctuaires mariaux de Catalogne, et parlant de Sainte-Marie d’Àneu, il dit : “Vers elle convergent en procession les paroissiens de cette vallée quand ils ont besoin d’eau ; ils vont chercher de l’eau à Esterri, qui provient de sous l’autel de Saint-Lizier dans l’évêché de Couserans en France, et ensuite ils répandent cette eau aux quatre vents, dans la maison même de Notre Dame, après avoir célébré un office solennel, et c’est une méthode qui a fait ses preuves, d’après ce qu’ils prétendent. »

Inscription de la chapelle de la Font-Sainte d'Ustou, 1770, crédits : Pauline Chaboussou

Ce souvenir de la source et la foi dans ses bienfaits pour invoquer la pluie dans le Pallars, quand la sécheresse ruinait le pays, ont continué jusqu’au XXe siècle dans les vallées d’Àneu et de Cardós, voisines d’Ustou, mais sans la participation de l’Eglise et de ses prêtres. Violant i Simorra, le grand chercheur qui s’est consacré à la culture populaire du Pallars, a recueilli de la bouche d’un informateur en 1946 : « Tout homme qui allait chercher de l’eau à la source devait le faire clandestinement, parce que si les Français le surprenaient, ils le châtieraient, car ils disaient qu’il ferait tomber la grêle sur leur pays ; alors il emportait de l’eau de cette source et quand il arrivait à Cardós il la jetait dans une source de la Ribera, et comme ça il faisait pleuvoir ; mais on dit que quand il pleut comme ça, ils tombent des grêlons en Couserans, c’est pour ça qu’il faut se cacher. On trouve la même croyance dans la vallée d’Àneu. »

Vallée des Pyrénées, Le col de Tabascan, du côté de la France, dessin de Blanchard, gravure de Hotelia et Regnier, « Entre la France et l’Espagne, vallée des Pyrénées, Vic d’Essos, Tabascan, Ustou », L’Illustration, journal universel, 5 sept. 1851

Dans le village d’Isil, la croyance était encore forte dans les années 1930, lorsque Francesc Gallart, un jeune homme âgé de 22 ou 23 ans (interviewé par l’Ecomuseu de los Valls d’Àneu dans les années 1990), fut chargé en 1933 d’aller chercher de l’eau de la fontaine de Saint-Lizier d’Ustou. Toujours en se cachant des voisins français, au retour il jeta un peu d’eau sur le sol après avoir traversé la frontière : « Cette année-là, il a plu, il y avait encore deux heures pour se rendre au village là-bas à mi-hauteur des montagnes et il s’est mis à pleuvoir et nous étions trempés, la langue la plus sèche. » 

Passage du col de Marterat, dessin de Blanchard, gravure de Hotelia et Regnier, « Entre la France et l’Espagne, vallée des Pyrénées, Vic d’Essos, Tabascan, Ustou », L’Illustration, journal universel, 5 sept. 1851

Toujours dans les années 1940, pendant la guerre, alors que la frontière était fermée, le maire d’Isil, désireux de mettre fin à une autre sécheresse estivale, demanda à Petit, contrebandier notoire d’Isil, de lui apporter de l’eau de la Font-Sainte. Grâce à plusieurs membres des réseaux alliés d’évasion et d’espionnage, dont Petit faisait également partie, on finit par apporter au maire franquiste une bouteille remplie d’eau du Salat, la rivière du Couserans.

 

Outre les eaux de la Font-Sainte, cet endroit abrite aussi, à une cinquantaine de mètres au-dessus de la route, plusieurs grottes, avec de petites entrées invisibles entre les rochers et les buis. Certaines ont été explorées à la fin du XIXe siècle par le pionnier de la spéléologie pyrénéenne, Félix Garrigou. On raconte qu’il y a trouvé des objets préhistoriques et des pièces romaines. C’est peut-être une autre légende. Peut-être existait-il déjà des lieux de culte avant la christianisation ?

Carte postale "Intérieur de la buvette d'Aulus les Bains", vers 1910

Après l’exploration, ces grottes, remplies de stalactites et de colonnes de calcite, ont été pillées pour décorer la buvette des thermes d’Aulus-les-Bains, de l’autre côté de la vallée d’Ustou.

Buvette des Thermes d'Aulus-les-Bains vers 2008, crédits : Patrice Rieu