Le Saut de Roland

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Salto de Roldán

Le chevalier Roland est un personnage historique franc, chef de guerre et fidèle serviteur de Charlemagne. Les armées de ce dernier ne réussirent pas à reconquérir la péninsule ibérique aux musulmans, et d’après la légende, Roland dut fuir devant l’armée de Saraqusta (Saragosse), après avoir échoué à conquérir la ville, chevauchant à toute allure vers le royaume franc. Traqué, il chercha une issue qui lui épargnerait une mort certaine, et grimpa au sommet de la Peña de Amán, où il fut acculé par ses ennemis.

Le saut de Roland

Lorsqu’il se rendit compte qu’il approchait d’un précipice, ses poursuivants aux trousses, il n’eut pas d’autre choix : armé de courage, il éperonna son cheval et continua à plein galop. Le destrier fit un saut si prodigieux qu’au lieu d’être précipité au fond du ravin, il parvint à atteindre la montagne en face, laissant l’empreinte de ses sabots dans la roche de la Peña San Miguel (certains assurent les y avoir vues).

La mort du chevalier Roland à Roncevaux, Grandes Chroniques de France, enluminées par Jean Fouquet, Tours, vers 1455-1460, Paris, BnF

La légende rapporte encore que sous l’effort, le cheval mourut sur le coup, et Roland dut poursuivre son chemin à pied. On raconte que Roland mourut à Ordesa, non sans avoir lancé, de rage, son épée Durandal vers son pays. Le chevalier ouvrit ainsi dans la montagne la « brèche de Roland » qui lui permit d’atteindre sa terre natale juste avant de succomber.

Vue de la brèche de Roland, Val de Gerret, planche par Antoine Ignace Melling, gravée à l’aquatinte par Piringer et Salathé, in Cervini Joseph-Antoine – Melling Antoine Ignace, Voyage pittoresque dans les Pyrénées françaises et dans les départements adjacents - Paris ; L’auteur, Treuttel et Wurtz, 1826-1830. Fonds Duclos, Bibliothèque Gaston-Massat de Saint-Girons.

Beaucoup d’histoires gravitent autour du Salto de Roldán et des érudits prestigieux le mentionnent dans leurs ouvrages. En voici un exemple : « On dit que les nuits d’hiver, en particulier le vendredi, les « almetas » (« petites âmes », dames blanches) volaient à une certaine altitude sur le chemin de l’énorme faille au fond de laquelle coule la rivière Flumen. On en a fini avec ce spectacle si effrayant, cette circulation terrifiante, lorsque des hommes ont tiré sur ces créatures avec des fusils chargés de balles de cire bénies. »

 

« ll y a un certain nombre d’endroits qui ont été considérés traditionnellement comme un rassemblement de sorcières et de convents : le Salto de Roldán en fait partie. »

 

« Les sorcières aussi avaient leur importance : les magiciennes des alentours avaient coutume de se retrouver le jour de la Pâque de la Résurrection sur la Peña de San Miguel pour préparer leurs méfaits. »

Bonus
Le massif
Salto de Roldán

Le « Salto de Roldán » est une formation rocheuse des Pré-Pyrénées de la région de Huesca, dans le Haut-Aragon, sur le territoire de la Comarca de la Hoya de Huesca. C’est un espace naturel des plus curieux et énigmatiques. Situé dans la vallée du Flumen, à 15 kilomètres au nord de la ville de Huesca, il est formé par deux immenses masses de pierre, deux géants de roche qui gardent la porte d’entrée de la Sierra de Guara à son extrémité ouest. Il se compose à l’ouest de la Peña San Miguel (appelée Peña Sen lors de la période musulmane), qui culmine à 1123m, et à l’est de la Peña Amán (Peña Men), à 1124m d’altitude. Entre ces deux éminences coule la rivière Flumen, en provenance de la Sierra de Bonés, quelques kilomètres plus haut, dont le nom vient du latin « rivière ». Un troisième rocher, El Fraile, s’élève à 1036m d’altitude entre les deux masses principales.

Huesca
Armoiries médiévales de Huesca, altoaragon.org

Certains historiens affirment que la faille, la muesca (le Salto de Roldán) a donné son nom à Huesca, dès l’époque préhistorique, indiquant que « Osca » signifie encoche, fente. L’hypothèse qui en découle est que la faille orographique a marqué la cité dès son origine. Elle apparaît dans les premières armoiries médiévales, documentées en 1246-1260 et 1288. Certains chercheurs supposent que cette particularité géologique est représentée par cette couronne à deux pointes. Un parallèle intéressant peut également être créé entre les tours « artificielles » de la muraille et les parois naturelles du Salto.

Une importance stratégique

Le Salto était une région militarisée à l’époque musulmane, alors que la ville de Huesca dépendait du califat de Cordoue. La forteresse qui y était située se nommait « Tan Wa Man ». Puis le Salto de Roldán devint un lieu stratégique car son contrôle permettait de préparer l’assaut sur la plaine et de commencer progressivement la conquête de la vallée de l’Èbre. L’épisode de guerre le plus important de l’ère musulmane fut l’assaut du roi García Sánchez I de Pampelune en 941 sur les bastions de Sen and Men, situés sur les peñas du Salto de Roldán. Ces positions furent récupérées l’année suivante par le seigneur musulman de Saragosse, évènement qui fut célébré dans la Mezquita, la mosquée de Cordoue. Finalement, en 1086, les chrétiens conquirent ces forteresses islamiques de Sen et Men.

Les traces de l’histoire
Peña San Miguel, face nord

Les vestiges qui jalonnent le Salto sont nombreux et d’époques diverses. On peut distinguer ceux qui se trouvent sur la pente nord et au sommet de la Peña San Miguel, où, en plus de la forteresse d’abord utilisée par les musulmans puis par les chrétiens, subsistent encore les ruines de l’abside d’un petit ermitage près du château, des aljibes (citernes) pour conserver l’eau de pluie, et les restes de plusieurs tours de surveillance. Le château du Salto de Roldán était l’une des forteresses les plus imprenables d’Aragon et était situé sur la ligne défensive de l’axe des Pré-Pyrénées, contrôlant cette entrée naturelle à travers la vallée du Flumen, en contact visuel avec d’autres forteresses telles que Sabayés ou la tour de guet de Santa Eulalia la Mayor.

Les vestiges de l’époque romane

Sur le côté sud de la Peña San Miguel, en gardant la même altitude depuis le parking, il est possible d’accéder aux vestiges d’un ancien village médiéval et aux ruines de l’Ermitage de San Miguel. On dit qu’au XIXe siècle, les habitants de Santa Eulalia de la Peña (mieux connu sous le nom de Santolarieta), confrontés à la détérioration évidente causée par l’exposition aux intempéries du chrisme roman qui surmontait l’entrée de l’ermitage, décidèrent d’emporter au village cette énorme pierre, transportée sur une charrette tirée par des mules. De nos jours, ce merveilleux vestige roman est visible à l’entrée du cimetière, servant de traverse à la porte d’entrée du lieu saint. A quelques pas de là, une remarquable croix de pierre est aussi très bien préservée.

Impossible domestication
Palomeras del Flumen

La rivière Flumen, passant entre les deux immenses rochers, forme l’un des ravins les plus encaissés et spectaculaires qui soient, avec une végétation qui diffère complètement du reste de l’environnement. « Las Palomeras del Flumen », plus qu’un canyon, semblent dans certaines sections former une grotte à travers laquelle les eaux de la rivière circulent sauvagement, créant des biefs, des siphons et des chutes d’eau à la portée de très peu d’aventuriers. À la fin du XIXe siècle, un projet de barrage visait à fermer artificiellement le défilé du Salto de Roldán, ce qui aurait été « commettre un crime de lèse-majesté contre l’un des endroits les plus attrayants des Pyrénées espagnoles » comme  l’écrivit Lucien Briet en 1905. Finalement, le barrage n’obtura pas le Salto, et fut réalisé quelques kilomètres plus haut, entre les parois de Cienfiens, formant ce qui maintenant connu comme le réservoir de Santa María de Belsué. Comme on ne parvint pas à remplir ce réservoir à cause des fuites liées à la géologie du terrain, il fallut en bâtir un autre, le réservoir Cienfuens, pour recueillir les pertes du précédent, qui ne remplit pas non plus son office pour les mêmes raisons. On dit que le Flumen, qui, rappelons-le signifie « rivière » en latin, est à la hauteur de son nom : il s’écoule et ne se résout pas à être endigué…

Presa de Belsué
Un territoire à visiter

De nos jours ce ne sont plus des guerriers en armure qui galopent sur le dos de leurs montures, mais des cyclistes avec casques et protections qui dévalent les pentes des deux colosses de pierre, à travers des chemins récemment rouverts pour le plaisir des pyrénéistes, cyclistes, ornithologues et pour tout amoureux de la nature et de l’histoire qui souhaite connaître les recoins, secrets et légendes de ce monument de la nature.

 

Tout près du Salto de Roldán, à la jonction de la route qui y mène, dans le village de Sabayés, se trouve le centre d’interprétation « Espace Salto de Roldán ». Le bâtiment conçu par l’architecte Sixto Marín a reçu le prix d’architecture García Mercadal. A l’intérieur, il propose diverses expositions temporaires en fonction de la période de l’année et une exposition permanente consacrée à la botanique, l’élevage, le paysage humanisé et le Salto de Roldán. Vous y trouverez également grâce aux professionnels du tourisme locaux, des cartes, des explications et des indications de chemins et d’excursions. A l’extérieur se déploie un jardin botanique avec les divers types de plantes de la Sierra de Guara. Vous pourrez également visiter l’ermitage de la Virgen del Patrocinio et faire une promenade jusqu’à Sabayés, beau village médiéval, en passant par l’ancienne fontaine des vergers et en visitant les caves à vin abandonnées.