Le Dolmen de Losa Mora

Écouter
Lire

Il y a très, très longtemps… sur la Sierra de Guara, non loin du mystérieux canyon du Mascún, une belle fileuse cheminait sans trêve. A la main, elle tenait une quenouille, et sur la tête, dans un équilibre fragile, elle portait une énorme pierre. Elle filait et filait sans arrêt, un fil très fin, au point que vint le jour où elle dut cesser de filer. Le fil de la vie était achevé. Elle sut alors que le moment de sa mort était proche. Au moment fatal, elle déposa l’énorme roche qu’elle portait sur la tête, sur deux autres dressées verticalement. Ainsi apparut le dolmen de Losa Mora, à la fois tombe et mémorial de la légendaire fileuse de Guara.

 

Son souvenir a traversé les siècles. Certains disent qu’il s’agissait d’une fée, d’autres d’une sorcière, d’autres encore d’une femme maure à la recherche de son bien-aimé, qui, l’ayant trouvé mort, brisée de douleur, déposa la pierre sur le corps inerte, afin que son souvenir demeure éternellement.

Dolmen de Losa Mora - Comarca de Somontano de Barbastro (Ignacio Pardinilla)

Le dolmen et ses environs sont des lieux magiques où se produisent des évènements étranges, des lieux enchantés où l’on entend des voix et des rumeurs – mais où l’on ne voit jamais personne.

 

Cela est arrivé à un marchand qui traversait souvent par là pour aller vendre ses produits à Nocito. Chaque fois qu’il passait devant le dolmen, quelque chose sautait sur la croupe de son âne, parfois un homme, parfois une femme. Sur sa tête scintillaient des lumières, et après avoir roué de coups le pauvre marchand, l’être moqueur disparaissait.

 

Une autre légende a pour protagoniste le charpentier de Bara.

 

Après une longue journée de travail, le charpentier rentrait chez lui ; en chemin, il se mit à rassembler un bon fagot de bois, le lia et le jeta sur son épaule. Il n’avait pas encore fait trois pas que le fagot céda, s’éparpillant au sol. Il le rassembla, le porta de nouveau : trois fois de suite, le même phénomène se produisit. Il fit de nouveau son fagot, et vit alors qu’il ne pouvait plus bouger les pieds.

 

Abandonnant les lieux, très étonné, il reprit la route pour rentrer chez lui. Près de Bara, il vit au loin trois hommes, vêtus de blanc, qui disparurent à son approche. Il continua sa descente et aperçut au milieu du chemin un cercueil blanc, qui s’évapora également comme il s’approchait. De retour à la maison, il trouva sa femme en pleurs, terrorisée d’avoir entendu trois coups comme frappés des enfers, dans l’atelier.

 

Le jour suivant, il se rendit à Rodellar consulter un devin, et alors qu’il passait près du dolmen (dans le vallon des Maures) il entendit derrière lui des murmures, des voix, des cris. Mais lorsqu’il se retourna, il ne vit personne. Bientôt, la même chose recommença. Stupéfait, il parvint à la maison du devin et lui raconta tout ce qui s’était produit. Celui-ci lui apprit que toute la région de la Losa Mora était enchantée, et que pour se désenvoûter, il devrait laisser la nuit même un plat empli d’eau près de la fenêtre.

 

Le devin demanda au charpentier son dû, et celui-ci se rendit compte que dans sa hâte, il n’avait pas apporté d’argent. Personne ne sut ce qui lui était arrivé.

 

En réalité, il était mort.

Bonus
Le dolmen
Dolmen de Losa Mora - Comarca de Somontano de Barbastro (Ignacio Pardinilla)

Le dolmen de Losa Mora est un monument funéraire néolithique, sur la Sierra de Guara, dans la Comarca du Somontano, dans le secteur du Mascún lié géographiquement et culturellement aux environs de la rivière Vero (Río Vero). D’ailleurs d’autres dolmens se dressent à l’embouchure du Vero. Ces monuments se rapportent à une période du Néolithique à laquelle correspond le dernier cycle artistique préhistorique du Río Vero, l’art schématique, propre à ces sociétés essentiellement agricoles et pastorales.

 

Le dolmen fait l’objet d’une riche tradition orale très ancienne, qui compte au moins ces trois légendes : une liée à la figure de la fileuse, une autre aux amours tragiques entre un roi maure et une princesse chrétienne, et une autre encore sur des êtres fantastiques qui harcèlent ceux qui passent par cet endroit.

La fileuse

Cette figure est à relier au monde magique des moires, des fées, ou de « las moras » en Aragon, êtres fantastiques et puissants, de forme féminine, qui habitent souvent dans les grottes. Les moires, les fileuses, tissent la destinée des gens. Elles rappellent les Moires et les Parques de la mythologie classique gréco-romaine. Le fil que forme et tire la fileuse sur son rouet représente la vie : quand il est terminé, le moment de la mort est arrivé. Alors elle dépose la pierre qu’elle porte sur la tête pour en faire sa propre tombe.

D’après Diego Vélasquez, Les Fileuses, original : 1657, Madrid, musée du Prado

Dans un petit film du Centre des légendes et traditions du Parc culturel du Río Vero, on trouve cette introduction à la figure de la fileuse :

Il fut un temps avant le temps où tout et rien étaient une même chose. Seule la lumière et l’ombre avaient un semblant de consistance. De cette ombre, comme émergeant d’une profondeur abyssale, un corps prit forme. Il ressemblait à un être couvert de soieries sombres et changeantes. Des dixièmes de seconde s’écoulèrent, qu’aujourd’hui nous mesurerions en siècles, et voilà que l’être eut un nom, Moire, et des mains, et de ses doigts naquit éternellement un fil de lumière. La Fileuse tressa des brins lumineux et le monde apparut léger et changeant comme le soleil qui se reflète dans la poussière d’un temple dans la pénombre. Alors la fileuse tint sur sa tête le premier grain de matière, et le grain devint pierre, la pierre rocher, le rocher une immense lause…

Les Moires

Dans la Grèce antique, trois déesses étaient chargées de gouverner le destin des humains et des dieux. Elles vivaient dans l’Hadès. La plus jeune était Cloto, qui formait les fils du destin. Lachesis tournait le rouet et la plus âgée, Atropos, coupait sans répit le fil qui unissait la personne à la vie. Le devenir des mortels était ainsi lié aux desseins des trois déesses.

Les Parques, version romaine des Moires de la Grèce antique
Les Moras en Aragon

La nature est remplie d’êtres fantastiques : moires, fées, enchanteresses, lavandières… En Aragon, on les connaît sous le nom de Moras, êtres magiques et puissants à l’apparence de femmes très belles. Elles vivent éternellement dans des grottes, filant sans cesse pendant qu’elles décident du destin de quelque être humain…

La grotte des Moras - Comarca de Somontano de Barbastro (illsutration Laura Lavedán)
La légende des amants de Guara

Le dolmen de Losa Mora serait né d’un amour interdit entre un roi musulman et une belle chrétienne.

Un roi maure de la contrée tomba profondément amoureux d’une chrétienne, qu’il dut enlever pour vivre cet amour interdit. Dans leur fuite à cheval, ils furent pourchassés et endurèrent un nuage de flèches. Le roi parvint à distancer ses poursuivants mais parvenu en sécurité à Revo, il découvrit que sa bien-aimée était morte! Une flèche avait transpercé son cœur. Il pleura longtemps sa perte cruelle. Elevant un grand tumulus de pierres, il plaça le cadavre à l’intérieur. Puis il revint à la rencontre de ses poursuivants, se laissant tuer. Le dolmen de la Losa Mora conserve pour toujours le souvenir de sa bien-aimée, tombe de pierre élevée à la mémoire de la belle chrétienne par un roi musulman fou de douleur.

Art rupestre préhistorique, un héritage mystérieux
Ciervo de Chimiachas - Art Rupestre Levantin - Comarca de Somontano de Barbastro (Foto Salas)

Le canyon de la rivière Vero, dans la sierra de Guara, recèle un patrimoine archéologique exceptionnel. Avec plus de 60 abris sous roches ornés de peintures rupestres, ce site naturel représente un extraordinaire musée de la préhistoire en plein air.

 

Après la découverte d’un premier abri orné dans le style schématique par Pierre Minvielle en 1969, Antonio Beltrán engagea une étude approfondie. Puis une campagne de recherche systématique fut menée pendant vingt ans par le Musée de Huesca, dirigé par Vicente Baldellou.

 

Les différents abris peints présentent de magnifiques exemples des trois styles classiques de l’art rupestre européen : Paléolithique, Levantin et Schématique. L’abri de la Fuente del Trucho est l’unique grotte avec des peintures paléolithiques localisée jusqu’à présent en Aragon.

 

En 1998, l’UNESCO a inscrit cet ensemble d’abris sur la Liste du patrimoine mondial.

Mains et points de la grotte de la Fuente del Trucho - Peinture rupestre paléolithique - Comarca de Somontano de Barbastro

Depuis la découverte des peintures rupestres préhistoriques, les spécialistes se sont efforcés d’interpréter leur fonction et leur signification, plus que pour toute autre période artistique de l’humanité. Animaux, symboles, mains, points, scènes, etc. ont été interprétés comme une forme de magie sympathique, œuvre de chamans, totemisme… Le mystère entoure encore ces peintures. Un mystère qui ne pourra jamais être élucidé et qui fait de l’art rupestre préhistorique un héritage exceptionnel et singulier.

Hombre griffu de Barfaluy - Art Rupestre Schématique - Comarca de Somontano de Barbastro (Foto Salas)