Ailleurs on parle de fées, en Pyrénées de « fadas » ou « hadas », suivant la manière qu’on a, à l’Est ou à l’Ouest, de jouer de la bouche pour dire l’émerveillement de la rencontre. Les noms de « sarrazines », « dames blanches » et « encantadas » leurs sont aussi donnés, comme pour accentuer encore le mystère des personnages.
Car il faut balayer l’archétype du chapeau pointu et de la baguette étoilée véhiculée par le vieil oncle d’Amérique : nos fadas pyrénéennes sont en fait un insondable secret, tant pour l’apparence que pour le caractère.
On s’accorde à dire qu’elles sont d’une incomparable beauté, qu’elles vivent dans des grottes et apparaissent près des sources d’eau claire. Voilà d’évidentes signatures du temps des anciens dieux, n’en déplaise aux petites bergères de Lourdes… Enfin, elles sont bonnes avec qui les respecte mais rugueuses et parfois sans pitié avec les mauvaises gens. Hélas leur conception du bien et du mal échappe parfois au commun des mortels.
Autre chose et non des moindres : tout homme voyant une fée ne peut qu’en tomber amoureux, de cet amour sans bornes qui fait perdre le sens. Mais s’il révèle la nature de son aimée, alors elle disparaît et laisse le malheureux sombrer dans la folie.
C’est probablement en cela que les termes fàda (fée) et fadá (fou) se rejoignent dans le latin fatá (déesse de la destinée). Ensorceleuse et ensorcelé fascinent également, car ils partagent le même mot, le même destin et en cela le même mystère. Eux seuls connaissent l’autre rive du monde…
Les histoires de fées lavandières, ondines, « dames » ou « demoiselles » trempant leurs linges blancs dans l’eau des sources, à l’entrée des grottes, courent dans l’Europe entière. Dans les Pyrénées, elles sont généralement très belles, gracieuses, de petite taille, les cheveux blonds et bouclés. Comme les Roussalki russes, elles ne différent des femmes que par leurs pieds palmés. Comme Mélusine, elles apportent bonheur et prospérité à celui qui aura la chance d’en épouser une, mais malheur ! S’il a la sottise dans un mouvement d’humeur de la traiter de folle (fadá), révélant ainsi sa vraie nature (fàda, fée), elle disparaît pour toujours, l’abandonnant au désespoir.
Généralement bienveillantes, les hadas peuvent combler de bienfaits celles et ceux qui leur témoignent des égards. En Lavedan, elles laissent parfois flotter un mince fil de soie dans le torrent. Si une jeune fille parvient à l’enrouler autour de son doigt sans le briser, son vœu est exaucé. Mais certaines d’entre elles, les blanquettes – comme les Dames blanches – sont parfois redoutables. Dans la vallée de la Barousse, elles visitent les foyers la nuit du 31 décembre. Gare à la maisonnée qui n’aura pas préparé quelques douceurs à leur intention ! L’une d’elle, couronnée de roses, apporte le bonheur, mais l’autre, armée d’un fléau d’épines noires, peut ruiner les moissons, rendre les bêtes malades, dénouer les amours prometteuses… Qui se moque des blanquettes peut être sûr de voir s’abattre la grêle et l’orage sur ses terres.
Cette puissance vengeresse n’est sans doute pas pour rien dans le costume adopté par les paysans ariégeois en révolte contre le nouveau code forestier dans les années 1830. Ce dernier, promulgué en 1827, restreint des droits d’usage indispensable à cette société montagnarde : ramassage du bois mort pour le chauffage, des feuilles mortes pour les litières des troupeaux, pacage dans les sous-bois, coupe de bois pour la construction des granges et maisons, chasse et cueillette… L’application du code, qui rompt le fragile équilibre agro-sylvo-pastoral pyrénéen, notamment au bénéfice de propriétaires qui souhaitent intensifier le charbonnage pour alimenter la Révolution industrielle, déclenche en Ariège la Guerre des Demoiselles, rébellion qui se déroule entre 1829 et 1832.
C’est un évènement de plus dans la chaîne bien ancienne de révoltes et de conflits face à l’entreprise centralisatrice de l’Etat. D’autres troubles éclatent de manière sporadique au long du XIXe siècle, mais celui-ci est resté célèbre, bien relayé par les gazettes à sensation, car les rebelles se travestissent : le visage noirci, vêtus de longues chemises blanches de femmes, tels des dames blanches ou « demoiselles », ils pourchassent dans les bois, la nuit venue, les gardes forestiers… Cette guérilla fantomatique porte ses fruits puisque le Code est assoupli en leur faveur quelques années plus tard.
La plus célèbre des hadas pyrénéennes est peut-être doute Notre-Dame de Lourdes… Le 11 février 1858, Bernadette Soubirous, jeune bergère de 14 ans, croit apercevoir dans la grotte de Massabielle une « lumière douce », au sein de laquelle apparaît une très belle jeune femme, vêtue de blanc, une rose sur chaque pied. Les « apparitions » se produisent pendant six mois, dix-huit fois, la foule se pressant de plus en plus nombreuse autour de la bergère en extase, et déclenchent de vives polémiques, des enquêtes de police, de justice et des autorités ecclésiastiques. Monseigneur Laurence, évêque de Tarbes, finit par déclarer le 18 janvier 1862, au nom de l’Église : « Nous sommes […] convaincus que l’Apparition est surnaturelle et divine, et que, par conséquent, ce que Bernadette a vu, c’est la Très Sainte Vierge. »
Bien soutenu par les visiteurs illustres (notamment la famille impériale), venus admirer les Pyrénées ou prendre les eaux thermales, qui font un crochet par Lourdes voir le phénomène, le pèlerinage prend très vite une grande ampleur. C’est aujourd’hui l’un des sites catholiques les plus fréquentés au monde, avec 6 millions de visiteurs par an, la première destination touristique des Pyrénées et la deuxième de France, après Paris.