Le chêne vert de Lecina

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Cet arbre emblématique, l’un des plus grands et majestueux d’Aragon, perpétue cette belle légende.

Le chêne vert de Lecina - Comarca de Somontano de Barbastro (Ignacio Pardinilla)

Il y a de nombreuses années, le village était entouré de maquis impénétrables qui servaient de refuge à des animaux sauvages et à des sorcières redoutables. Les arbres de la forêt se réjouissaient car les gens n’y entraient pas pour ramasser du bois, ni des glands, ni des feuilles… Mais le plus jeune des chênes verts était très contrarié de voir que la futaie jouissait d’une si mauvaise réputation.

 

Les discussions avec les autres arbres étaient vives et fréquentes. Les sorcières surprirent les protestations du jeunot et décidèrent de partir. Auparavant, elles voulurent remercier les plus âgés des chênes verts pour leur soutien en leur accordant un vœu. Un groupe d’arbres désira que leurs branches et leurs feuilles fussent d’or, d’autres souhaitèrent embaumer des parfums les plus délicieux, et les derniers que leurs feuilles resplendissent du verre le plus pur. Seul le petit chêne voulut rester le même.

Après le départ des sorcières, une grande tempête se leva : le vent et la grêle se déchaînèrent… et les arbres de verre furent brisés. Un autre jour, un troupeau mangea les feuilles parfumées. Pour finir, les arbres d’or ne tardèrent pas à être mis en pièces par les voleurs.

De cette immense forêt, seul survécut le petit arbre, le plus jeune. Il jouit depuis du respect de tous.

Bonus
Guara, une sierra magique
Canyon du Mascún, avec ses formations de karst – photo Asociación de empresarios de la Sierra de Guara
Canyon du Vero, photo Comarca de Somontano de Barbastro (Ignacio Pardinilla)

Ce massif prépyrénéen de la province de Huesca s’étend d’est en ouest sur les territoires de l’Alto Gállego, de la Hoya de Huesca, du Sobrarbe et du Somontano de Barbastro. Son point culminant est le Tozal de Guara (2077 m).

 

Le dolmen de Losa Mora est situé au centre de la sierra, à proximité du Mascún. Ce canyon est couturé de failles dans toutes les directions, parallèles et perpendiculaires à son axe ; l’endroit est magique, hérissé d’aiguilles et de cheminées de pierre. On y trouve aussi une muraille rocheuse, la « Ciudadela » (citadelle) ainsi que la « Cuca Bellostas », un monolithe géant aux formes arrondies qui doit son nom à un personnage du village voisin d’Otín. L’érosion a percé deux arcs naturels très larges et spectaculaires, « los Ventanales » (les fenêtres), dont l’un a une forme de dauphin.

 

Ces éléments tourmentés et mystérieux ont incité les Arabes à dénommer ce lieu le Mascún : « celui habité par les esprits ».

Les sorcières de Guara
Sorcière en vol, illustration de Laura Lavedán (Comarca de Somontano de Barbastro)

Toutes les cultures, dans les endroits les plus variés du monde, ont cru aux sorcières ou à des personnes qui, par la magie, pouvaient guérir ou provoquer des maux. L’Europe des 16ème et 17ème siècles ne fit pas exception et connut une véritable chasse aux sorcières (environ 60 000 personnes furent condamnées à mort pour cette raison).

 

A cette époque, les sorcières furent associées aux sabbats (réunions nocturnes où le diable apparaissait) et aux maléfices (maladies, morts, tempêtes…). En Haut-Aragon, il y eut de nombreux cas de condamnation et d’exécution de sorcières, en général ordonnés par les assemblées locales et non par l’Inquisition, comme on le croit habituellement. La peine la plus courante était la pendaison et non la mort sur le bûcher.

À la lumière de la documentation conservée, la sorcière était une femme âgée qui possédait un savoir approfondi des remèdes naturels et connaissait les effets guérisseurs des plantes et des breuvages. Elle exerçait le métier de guérisseuse, souvent de comadre (sage-femme) et finissait par payer pour les maux qui affligeaient ses concitoyens : morts, maladies, fléaux, mauvaises récoltes…

 

Guara est marquée par une grande tradition de sorcellerie. Le vendredi soir, les sorcières se réunissaient pour le sabbat dans des bourgades comme Lecina ou se déplaçaient d’une façon magique jusqu’à Tozal de Asba (Betorz).

 

L’une des sorcières les plus connues du parc culturel du Río Vero est Dominica la Coja de Pozán de Vero. Elle était veuve et avait un fils. Les voisins faisaient appel à elle pour ses talents de guérisseuse, en particulier pour soigner les enfants malades. Elle connaissait une multitude de remèdes naturels pour guérir les rhumatismes, l’asthme, la gale… et, peu à peu, la rumeur selon laquelle elle pratiquait la sorcellerie s’est répandue. Elle a été condamnée par l’Inquisition et est morte dans la prison de Saragosse.

La Damoiselle de Buera : la conquête d’Alquézar
Alquézar – photo Asociación de empresarios de la Sierra de Guara

Dans le Parc Culturel du Río Vero et de la sierra de Guara, des légendes liées à des moments historiques forts ont également été conservées, comme la conquête d’Alquézar.

 

On raconte que le roi maure soumettait ses sujets à des abus constants. Pour satisfaire ses caprices, il exigeait qu’on lui remette les jeunes vierges les plus belles de la région. Il en fut ainsi jusqu’à ce qu’une courageuse jeune femme de Buera prenne une initiative.

 

À la tombée de la nuit, elle revêtit ses vêtements les plus fins, attacha ses longs cheveux blonds avec un peigne pointu et se présenta au château pour s’offrir au roi, qui ne tarda pas à s’abandonner au vin et à la beauté de la fille. Elle libéra alors ses cheveux, et lorsque le roi tomba à genoux devant sa beauté, elle lui enfonça son peigne dans le cœur. Puis elle lui coupa la tête et la présenta par la fenêtre.

 

À ce signal, les chrétiens attaquèrent le château. Les musulmans, confus, sans chef et se voyant perdus, décidèrent de se donner la mort. Ils bandèrent les yeux de leurs chevaux et au galop, se précipitèrent dans le vide. On dit que certaines nuits, on entend encore en ce lieu des hennissements et des cris désespérés : ceux des âmes des soldats maures.

Les Grands-Mères de Sevil : Un riche patrimoine immatériel à préserver

Les petits villages qui composent le Parc culturel du Río Vero et de la sierra de Guara ont préservé une riche tradition orale, transmise de génération en génération. Dans la chaleur du foyer, les parents ont raconté à leurs enfants des légendes, des mythes et des traditions qui singularisent ce coin du Haut-Aragon.

 

Les Grands-Mères de Sevil, trésor de la tradition orale, conjuguent un événement légendaire associé à des mythes avec divers rituels festifs que les habitants de la localité d’Adahuesca continuent de pratiquer.

Les Grands-Mères de Sevil cherchent un asile, L. Lavedán (Comarca de Somontano de Barbastro)

La légende raconte que les habitants de plusieurs villages de la sierra de Sevil succombèrent à la peste. Seules deux femmes âgées survécurent. Pour éviter le même sort, elles décidèrent de fuir et de demander l’asile dans les villages voisins. Après plusieurs tentatives à Radiquero et Alquézar, ce fut finalement Adahuesca qui les accueillit. Pour les remercier des attentions reçues, en tant que dernières et uniques propriétaires, elles firent don de la sierra de Sevil aux habitants, à trois conditions. Ils devaient d’abord se rendre tous les 20 mai au lieu connu sous le nom de Crucelós, où elles voulaient être enterrées, pour prier près de leur tombe. Deuxièmement, au même endroit, ils devaient distribuer “la Charité” (petits pains et vin) à tous les participants. Troisièmement, le jour de Sainte-Anne (26 juillet), ils remettraient des poires aux enfants d’Adahuesca. Cette dernière condition est connue sous le nom de « Correperas » (remise des poires).

Pélerins à Crucelós, L. Lavedán (Comarca de Somontano de Barbastro)

La possession historique par Adahuesca de la sierra de Sevil, concédée à cette ville par plusieurs rois d’Aragon et attestée dans un important ensemble documentaire, s’entremêle avec le légendaire dans cette histoire.

En plein 21ème siècle encore, le rituel est respecté chaque année par les habitants d’Adahuesca et constitue le socle du Centre d’Interprétation des Légendes et des Traditions situé dans la localité.

Salle des sorcières dans le Centre d’interprétation des Légendes et Traditions d’Adahuesca – Comarca de Somontano de Barbastro (Ignacio Pardinilla)