Au sommet de la barre rocheuse qui domine la rivière Segre, surplombant toute la vallée, se trouve une ouverture triangulaire, qui semble impossible à atteindre. Néanmoins, la Cova del Tabac (caverne du Tabac) a été visitée par de nombreuses générations attirées par l’aura de mystère qui entoure ce paysage primitif.
En entrant dans la grotte, la lumière du soleil mène jusqu’au lieu scintillent des traces rougeâtres estompées par l’histoire, d’étranges symboles peints sur le linteau du porche de la cavité, invitant à pénétrer dans l’obscurité absolue. Certaines de ces figures ressemblent vaguement à des êtres humains schématiques – parfois les bras levés – d’autres à des animaux étranges, et une forme radiale rappelle un soleil. Malgré leur signification insaisissable, elles témoignent de l’attraction exercée par ces symboles, marques de rites ancestraux qui défient le passage du temps en perpétuant la vision du monde des gens qui les ont peints. Bien que l’écho de ce magnétisme millénaire se soit évanoui, il n’a pas complètement disparu.
Un vieux parchemin trouvé récemment dans l’église de Camarasa relate l’histoire de l’occupante de cette grotte maudite, une femme solitaire protégée par des figures païennes diaboliques. La Maladona (“mauvaise femme”) était le recours désespéré de ceux qui avaient besoin de faveurs, d’exaucer des souhaits ou de secours interdits par la Sainte Mère Église.
L’histoire se poursuit avec la commission particulière qu’un riche seigneur du village confia à son serviteur : il devait atteindre la Cova del Tabac, trouver cette femme étrange et la convaincre de répondre à sa demande. S’il y parvenait, il aurait une grosse récompense. Le serviteur demanda à ses voisins comment se rendre à la grotte, mais ces derniers préféraient ignorer tout ce qui se rapportait au royaume dans lequel habitait la Maladona.
De son propre chef, il décida de s’aventurer dans la montagne, suivant des sentiers oubliés, escaladant des murs infranchissables. Seuls indices qui confirmaient qu’il se dirigeait dans le bon sens, des croix sinistres portant des passereaux cloués jalonnaient le chemin. Lorsqu’il tomba sur une immense croix couverte d’oiseaux attachés par les ailes, alors qu’un grand hibou royal exhalait ses derniers souffles, il comprit qu’il était arrivé à la fin du voyage. Derrière ce signe macabre, un figuier, toutes feuilles déployées, le fit trembler, devinant la colossale ouverture triangulaire qu’il n’avait vue que depuis le fond de la vallée.
En pénétrant dans la grotte, le serviteur aperçut un linteau de pierre où il crut voir des figures difformes quasi-humaines qui semblaient lui souhaiter la bienvenue.
Soudain, l’obscurité froide de la grotte inhospitalière l’obligea à s’arrêter, mais juste un instant : il devait continuer, car il avait besoin des puissants savoirs de la Maladona. Il s’arma de courage et continua, mais dut de nouveau s’arrêter. Un immense vol de chauves-souris qui semblaient dirigées par une voix assourdissante surgit à son approche. Le serviteur s’écria avec angoisse : « J’ai besoin de tes talents ! Maladona, j’ai besoin de te voir ! ». Un silence éternel s’empara de la grotte que brisa l’écho d’un rire maléfique, l’invitant à pénétrer les entrailles sombres de la caverne, envahie par une odeur malsaine indescriptible. Le serviteur reprit son chemin, s’émerveillant de la beauté d’étranges perles de cire qui se détachaient des murs.
Bientôt dans l’obscurité de la grotte, il aperçut du feu et de la fumée qui sortait d’un grand chaudron, et soudain surgit de l’humidité une crinière argentée, touffue, entremêlée de pattes de lapin et de canard comme d’étranges ornements, qui l’avertirent de la présence d’une créature mystérieuse. Celle-ci lui affirma énigmatiquement : « Je sais ce que tu veux ». Tendant la main, elle lui remit un petit flacon noir, lui conseillant de mélanger le breuvage avec du vin pour masquer son goût. Le serviteur voulut lui remettre un sac rempli de pièces d’or que la Maladona refusa avec colère, lui demandant deux choses en retour. La première, qu’il la laisse vivre dans la solitude de sa grotte, en jurant qu’il ne parlerait à personne de son cadeau. La seconde, de ne jamais dévoiler à quiconque le chemin pour parvenir jusqu’à elle. Le serviteur hocha la tête, acquiesçant aux deux demandes, garda le sac d’argent et reprit le chemin qui ne lui était plus inconnu.